« Quelles avancées de l’UE pour l’Economie Sociale ? » Entretien exclusif avec Emmanuel Vallens de la DG Marché intérieur et services

De la question des clauses sociales et environnementales dans les marchés publics à celle de la labellisation « économie sociale », en passant par le groupe d’experts sur l’entrepreneuriat social, Emmanuel Vallens s’exprime sur la stratégie en matière d’économie sociale de la Commission européenne dans cette interview accordée à Pour la Solidarité le 24 juillet 2012.

Qu’est-il prévu par la Commission en ce qui concerne l’entrepreneuriat social ce prochain trimestre 2012 ?

En ce moment,  il s’agit surtout d’adopter les propositions qui ont été faites par la Commission. En ce qui concerne le futur proche, la balle est maintenant dans le camp des colégislateurs. Les propositions relatives au marché public, sur le Fonds européen d’entrepreneuriat social et sur les fond structurels, qui ont été proposées par la Commission doivent en effet être adoptées.  Nous  attendons et participons aux discussions  législatives pour que ces dispositions soient mises en œuvre le plus rapidement possible. Concernant le travail des colégislateurs, les discussions sont en cours, les règles de marché public sont de très gros dossiers donc je ne sais pas si ce sera adopté d’ici la fin de l’année. De même pour les fonds structurels tout cela est lié aux perspectives financières pluriannuelles, qui sont  aussi politiquement sensibles. Ces dossiers sont en lien avec les discussions et négociations sur la taille du budget.

Nous travaillons également sur les autres dossiers évoqués par l’initiative pour l’entrepreneuriat social, notamment en ce qui concerne la communication, la visibilité, etc. ainsi que sur les prochaines étapes de l’analyse sur l’impact social des entreprises sociales. Mais ce genre de dossiers requiert davantage  de recherches et de travail de fond. Il n’y aura donc pas de résultats visibles dans les prochains mois.

Dans cette proposition sur les marchés publics, quelles sont les mesures qui vont avoir un impact positif sur l’entrepreneuriat social ?

D’abord la sanctuarisation de règles très simplifiées pour les SSIG (« service sociaux d’intérêt général »). Par ailleurs, Les règles actuellement en vigueur qui permettent de réserver des marchés à des organisations à but non lucratif quand les lois nationales le prévoient sont  maintenues dans cette proposition.

En outre, la proposition sur les marchés publics prévoit un élargissement du champ des marchés réservés aux ateliers protégés. En effet, dans la situation actuelle, les marchés publics sont réservés aux ateliers protégés qui emploient plus de 50% de personnel handicapé, ce qui est extrêmement restrictif. Notre proposition est de l’élargir aux entreprises qui emploient 30% (abaissement du seuil) de personnes « défavorisées ». Ce qui est plus large et plus flexible en termes de public cible et permet donc de couvrir un plus grand nombre d’entreprises sociales.

La proposition permet également aux autorités publiques de prendre davantage et plus facilement en compte le coût du cycle de vie du produit et notamment d’inclure la dimension d’impact social et environnemental et de recourir à des dispositifs de labellisation. Cela permet de mieux prendre en compte le processus de production des produits et services, ce qui, par définition, peut avantager les entreprises sociales.

Quels ont été les avancements  concernant le travail de fond et l’avancement sur le projet de label/passeport pour les investisseurs sur la question du fonds d’entrepreneuriat social européen ? A-t-on plus de spécificités quant aux critères de ce label ?

Le travail est très avancé car nous sommes parvenus à un accord en trilogue avec le Parlement et le Conseil sur le fond. L’adoption définitive est pour l’instant suspendue pour des raisons liées aux exigences du Parlement européen sur l’ensemble du processus sur les fonds européens d’entrepreneuriat social et sur le fonds de capital risque. Nous souhaiterions que ce texte soit adopté en première lecture.

En qui concerne les critères, le règlement va appeler des mesures d’application via des actes délégués qui seront exercés par la Commission et dans laquelle celle-ci va établir un certain nombre de critères et de méthodes un peu plus détaillés. Pour cela nous allons travailler avec les autorités certificatrices dans le domaine des marchés financiers en Europe, avec le groupe d’experts sur l’entrepreneuriat social et les autres acteurs. Une étude va très bientôt être lancée sur cette question de labellisation et cela nous permettra de dégager des critères plus précis et  plus opérationnels.

Concernant le groupe d’expert sur l’entrepreneuriat social. Quel est l’objectif de ce groupe ?

Son objectif est de conseiller la Commission, ce n’est pas de prendre des positions généralistes ou d’exprimer le point de vue de tel ou tel secteur ou tel ou tel groupe. Ce groupe vise à assister la Commission avec l’expertise individuelle des membres du groupe. Un des dossiers sur lesquels nous allons faire travailler le groupe est notamment la question de la mesure de l’impact social des entreprises sociales. Avec la question sous jacente : comment arriver à développer des méthodologies communes et partagées dans le but de  comparer l’impact social produit par les entreprises sociales ? Cela permettrait de voir s’il y a moyen ou matière à développer un système de labellisation européen voire éventuellement un système de statut européen de l’entreprise sociale. Mais pour cela il faudra  d’abord que l’on travaille sur les critères d’analyse partagés de l’impact social des entreprises (arriver à trouver des éléments communs, sans tomber dans l’harmonisation réglementaire d’un secteur qui bouge en permanence et qui s’adapte aux réalités locales). Il est donc loin d’être acquis qu’un statut européen sera nécessaire ou souhaitable.

Une première réunion s’est déroulée le 5 juin 2012. Quel a été l’ordre du jour de cette première réunion, comment s’est-elle passée ?

La réunion a duré toute la journée. Cela a été une première prise de contact au cours de laquelle nous avons passé en revue l’ensemble des actions de l’initiative pour faire le point, pour expliquer et s’assurer que tout le monde ait le même degré d’information et que tous les experts sachent où on en est dans les différents dossiers. Ce fut aussi l’occasion d’avoir leur premier retour d’ensemble global, avec notamment une discussion avec Henz Becker qui est rapporteur au Parlement européen sur ce dossier. Cela a donc permis essentiellement un échange de vues sur les différents dossiers sans entrer dans le détail de chacun. Tous les acteurs de la Commission qui ont suivi les différents dossiers par les différents angles étaient présents et ont pu répondre aux questions des experts, entendre les premières réactions et également leurs souhaits pour les pistes à explorer pour l’avenir. Il n’y a pas d’ordre du jour à établir pour la prochaine réunion qui se déroulera en novembre, nous sommes en train d’y travailler et cela dépendra des demandes, de l’état d’avancement des discussions.

La création du statut d’association européenne est conditionnée au succès du statut de la Fondation européenne (FE). Où en sont les travaux sur le statut de la fondation européenne ? 

Pour l’instant le règlement sur la Fondation n’a pas réellement été discuté par le Conseil, il est donc très difficile de dire comment cela va s’orienter. Mais les premiers retours que nous avons sur les aspects fiscaux notamment sont assez négatifs. Un certain nombre de délégations pensent qu’il n’y a pas de problème et qu’il n’y a donc pas besoin de statut. C’est un règlement qui doit être adopté à l’unanimité donc c’est forcément compliqué.

Quelles sont vos recommandations envers les acteurs européens de l’entrepreneuriat social pour une meilleure prise en compte de leurs intérêts au niveau de la Commission européenne ?

Il faut travailler énormément sur cet aspect de l’impact, arriver à quantifier l’impact économique et social des entreprises sociales de manière comparable. Quand je dis comparable c’est comparable d’un pays à l’autre et comparable à l’égard du reste de l’économie pour prouver quelles sont les plus-values des entreprises sociales par rapport aux autres entreprises : il s’agit de répondre aux questions « Est-ce que les taux de faillites sont plus faibles ? Est-ce que les entreprises durent plus longtemps ? Est-ce qu’elles ont tendance à moins faire de plans sociaux ? » mais tout cela de manière chiffrée pour bien montrer en quoi elles sont différentes. C’est pour cela que nous lançons un certain nombre d’études là-dessus.  Mais si un certain nombre de données viennent du secteur lui-même ce n’est pas plus mal pour notre travail, c’est quelque chose d’indispensable pour pouvoir convaincre ceux qui sont encore réticents. Pour cela il faut pouvoir se mettre d’accord sur ce que l’on met dans ces référentiels communs et sur la définition.

Pays: 

Union Européenne

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