Marché public et clauses sociales France

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 En droit

  • Suite aux directives européennes de 2004, la prise en compte des critères sociaux dans les marchés publics a été reconnue par le droit français avec la loi de cohésion sociale, dite loi Borloo de janvier 2005.
  • Le Code des marchés publics 2006, dans son article 5, impose désormais aux acheteurs publics de prendre en compte les objectifs de développement durable sur le plan environnemental et social. Pour ce faire, ils ont la possibilité d’intégrer dans leurs marchés une clause sociale, dont l’objectif est de favoriser le retour à l’emploi et l’insertion professionnelle et sociale des personnes, connaissant une situation de chômage ou d’exclusion.
  • L’article 14 permet aux acheteurs publics d’imposer aux entreprises attributaires de réserver une partie des heures de travail générées par le marché à une action d’insertion, correspondant soit à un volume déterminé d’heures de travail, soit à un pourcentage déterminé des heures travaillées du marché. C’est une condition d’exécution du marché. Pour répondre à leur obligation, les entreprises ont le choix entre l’embauche directe, la sous-traitance ou la co-traitance avec une structure d’insertion par l’activité économique (SIAE), la mise à disposition de personnel par une SIAE. L’utilisation de l’article 14 est facilitée par l’article 10, qui permet de décomposer un marché en plusieurs lots. L’allotissement offre la possibilité de définir les lots les plus adaptés en termes de volume, de technicité, etc., pour y introduire une clause sociale pertinente. Incontestablement, le recours aux clauses dans le cadre l’article 14 représente pour les structures d’insertion par l’activité économique, un moyen d’accéder à de nouveaux marchés qui leur étaient auparavant inaccessibles. Les hausses de chiffres d’affaires peuvent ainsi atteindre jusque 40 % grâce à ces nouveaux marchés.
  • L’article 15 permet de réserver un ou plusieurs lots du marché, voire le marché entier, à une entreprise adaptée (EA), un établissement ou service d’aide  par le travail (ESAT) ou à toute autre structure employant majoritairement des personnes handicapées dans l’objectif de leur insertion.
  • L’article 30 permet aux acheteurs publics qui en ont la compétence d’acquérir directement des prestations d’insertion, celles-ci pouvant prendre appui sur différents supports d’activité, tels que le nettoyage de la voirie, la collecte des déchets, l’entretien des espaces verts, etc. Ces marchés sont dits de services de qualification et d’insertion professionnelle. Leur objet est l’insertion. Ils relèvent d’une procédure allégée (marché à procédure adaptée). L’article 30 est plus particulièrement adapté aux ateliers et chantiers d’insertion, voire aux régies de quartier. 13
  • L’article 53-1 permet aux acheteurs publics de prendre en compte parmi les critères d’attribution du marché, en lien avec son objet ou ses conditions d’exécution, les performances de l’entreprise en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté (accompagnement mis en place, formations proposées, etc.) au même titre que des critères classiques tels que la valeur technique, le prix, le délai de réalisation, etc. Dans le jugement des offres, le poids accordé au critère de “performance sociale” doit toutefois rester raisonnable, voire faible. En effet, ce critère ne doit pas être discriminant, tout en restant en lien avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution. Aussi l’article 53-1 doit-il être utilisé combiné avec l’article 14.
  • Les acheteurs publics peuvent également recourir utilement à l’article 50. Cet article leur permet d’autoriser les candidats à présenter des variantes par rapport aux spécifications du cahier des charges, et ce en complément de leur offre de base. Les variantes peuvent porter sur les aspects sociaux. Les candidats ont ainsi la possibilité d’intégrer dans leur offre des objectifs en matière d’insertion des publics en difficulté.  L’article 14 et l’article 30 constituent les deux types de disposition les plus utilisés.D’après une étude réalisée par l’Alliance Villes Emploi, l’article 14 est mis en œuvre par 92 % des chargés de mission et l’article 30 par 36 % d’entre eux. Les  deux autres dispositions sont moins utilisées, l’article 15 (4 %) ne cible pas les SIAE mais permet de réserver les marchés à des organisations comme les entreprises adaptées qui ciblent les personnes handicapées, et les établissements et services d’aide par le travail. 16 % des chargés de mission travaillent sur l’article 53. Or celui-ci permettrait aux entreprises d’insertion, grâce aux performances de l’entreprise en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté qu’il prévoit, de prendre un avantage sur leurs concurrents privés (Loquet, 2007).

En pratique

Le Chantier de réhabilitation des immeubles Tilleul et Cèdre – OPAC de Nancy et Maison de l’emploi du Grand Nancy – Clause d’insertion article 14.

Le chantier “Tilleul – Cèdre” à Nancy, lancé fin 2006, visait la réhabilitation de deux très grands immeubles d’habitat social sur le Haut-du-Lièvre (Site du Plateau de Haye). Financé par l’Agence de rénovation urbaine (ANRU), le chantier était de ce fait soumis aux contraintes de la charte spécifique ANRU, qui rend obligatoire la clause d’insertion par l’application de l’article 14 sur les chantiers financés dans ce cadre. Le chantier était de longue durée et de grande ampleur, il s’est achevé enseptembre 2009.
Le Grand Nancy a fait de la clause sociale son credo et ce faisant a réussi en deux ans à susciter une dynamique de grande ampleur : passage de 2006 à 2009, d’un seul chantier à 51 chantiers. Il apparaît que la contrainte ANRU a contribué au formidable développement des chantiers en clause article 14, dont elle a en quelque sorte presque banalisé le recours. Ce fort développement a nécessité un travail important du « facilitateur » (Maison de l’emploi) pour préparer le lancement du chantier et pour assurer un accompagnement rapproché destiné à soutenir au jour le jour les entreprises dans la mise en œuvre de la clause.
Ce chantier aujourd’hui terminé, il devient nécessaire pour le Grand Nancy d’évaluer les « sorties » de clause pour éviter d’entrer dans une mise en
application trop mécanique de la clause, sans poser certaines questions de fond (comme par exemple celle de la qualité des sorties en rapport avec les durées de mission).
Le fort développement des clauses sur le Grand Nancy pose également la question de l’avenir : que devient la clause d’insertion si elle se transforme en norme applicable à presque tous les marchés ? Que deviendra aussi la clause après le projet de rénovation urbaine, et après la levée de la contrainte ANRU ?

La démarche du Conseil général du Var

Depuis 2007, le Conseil général du Var s’est engagé dans une démarche de mise en œuvre des clauses sociales sur la base de ses compétences en matière d’insertion. Convaincu par les résultats d’une première expérience en matière de clause sociale, il a souhaité généraliser la démarche en s’appuyant sur une ingénierie adéquate. L’action du Conseil général est aujourd’hui en plein développement et s’étend à tous les types de marchés. Pour se lancer, il s’est tout d’abord appuyé sur des outils existants ainsi que sur des expériences réussies. Sa démarche a été au départ incitative, afin de sensibiliser l’ensemble des acteurs aux clauses sociales et de vaincre les réticences. Le Conseil général a ensuite engagé une action l’accompagnement des entreprises, en les informant sur les modalités d’exécution de la clause, en leur proposant des candidats, ainsi qu’une
action de suivi de l’application de la clause et de son évaluation. Cette ingénierie est pilotée au sein du Conseil général par une chargée de mission de la direction des solidarités. Un groupe de travail dédié, réunissant les différents services concernés, a également été mis en place et a pour principal objectif de suivre la programmation des opérations et d’identifier les marchés dans lesquels intégrer des clauses. Des réunions spécifiques sont aussi organisées afin d’étudier les contraintes propres à chaque secteur d’activité.

Le Conseil général étudie aujourd’hui la possibilité d’intégrer des clauses sociales  dans tous les marchés d’un montant supérieur à 150 000 € et d’une durée minimum  de 6 mois. Ces clauses sont des conditions d’exécution du marché (article 14 du  code des marchés publics). Si les marchés de travaux restent les plus concernés  par les clauses sociales, le Conseil général n’écarte a priori aucun secteur d’activité. Il a par exemple intégré des clauses dans des marchés de transport (exploitation du  réseau Varlib), en mettant en place des formations de conducteur de bus pour les
candidats. 12 400 heures d’insertion ont été réalisées en 2009, avec une nette augmentation par rapport à 2008. Le dispositif a prouvé son efficacité : d’une part les entreprises  adhèrent à la démarche, et vont même au-delà de ce qui leur est imposé ; d’autre  part, les résultats en termes d’insertion sont tangibles avec 60% de sorties positives.  Au vu de ces résultats, le Conseil général envisage de fixer la clause à hauteur de 10% des heures de travail, au lieu des 5% actuellement pratiqués.