Entreprises sociales et stratégie économique

Mars 2016

Réconcilier les stratégies de gestion d'entreprise avec les entrepreneurs sociaux, c'est le défi que s'est lancé Michel Boving, conseiller en organisation et chercheur au Centre d'économie sociale de HEC-Ulg. Ce challenge a été relevé sous forme d'un guide à destination des entreprises sociales.

Rentabilité, stratégie, business plan, tous ces concepts rebutent parfois les entrepreneurs sociaux, car ils sont associés aux modèles économiques des entreprises capitalistes. Peut-on allier gestion rigoureuse d'entreprise, vision stratégique et entreprise sociale ? Oui, bien entendu, nous dit Michel Boving, c'est même essentiel pour sa pérennité et son développement économique. Plus une entreprise croît en termes de "chiffre d'affaire" et en nombre d'employés, plus il lui est impératif de mettre en place un plan d'affaires pour encadrer ses décisions. Ce qui ne signifie pas que ce plan doit mettre la recherche de rentabilité au coeur des stratégies développées. Son intérêt est de jeter les bases d'un modèle économique viable à court terme, moyen terme et long terme permettant la poursuite des objectifs sociaux de l'entreprise. 

Michel Boving se veut acteur de la professionnalisation du secteur, par le dépassement de la contradiction apparente entre entreprises sociales et stratégie économique aboutissant à la réconciliation nécessaire entre les deux. Son guide est destiné à aiguiller les entrepreneurs sociaux, remédiant aux lacunes d'existence de manuels de gestion stratégique qui seraient spécialement dédiés pour ces entrepreneurs. Pour se faire plus facilement entendre des entrepreneurs sociaux, Michel Boving a dû remplacer des mots propres aux stratégies économiques classiques par d'autres susceptibles de moins heurter les entrepreneurs sociaux. Ainsi, « client » devient « cible » et « marché », « domaine ».

Benoît Ceysens, directeur de la ferme « Nos Pilifs », une entreprise de travail adapté de Neder-Over-Heembeek qui emploie 170 personnes, a bénéficié de séances de coaching par l'auteur du guide. Il commente : « Avec autant d'employés, il aurait été suicidaire de ne pas adopter une stratégie d'entreprise, même si je reconnais que si l'on m'avait demandé d'opter pour une pure stratégique économique, je me serais cabré. Ce processus qui s'est achevé il y a un an a été long, difficile mais aujourd'hui, nous avons adopté une structure, un organigramme, une stratégie à long terme. Et nous estimons que notre bilan 2015 sera meilleur que le précédent ». 

Cette approche gestionnaire devrait mieux correspondre aux attentes de la banque CBC qui publie l'ouvrage avec l'Académie des entrepreneurs sociaux. On peut espérer un autre bénéfice de cette réconciliation entre modèles économiques et sociaux : rassurer les banques et les inciter à accorder des financements à ces autres formes d'entreprises. La non reconnaissance des structures de l'économie sociale par le système bancaire et financier reste en effet encore un frein au développement de cette économie. De quoi en tirer une idée pour le prochain guide de Michel Boving : démontrer aux banques que le modèle économique des entreprises sociales est tout autant viable, voire plus, que celui des entreprises classiques.